Usage des carnets de cire au Moyen Age :
Toujours sur ma lancée après la fabrication de mon codex composé de tablettes reliées et sculptées, j’ai pensé qu’il serait intéressant de fabriquer un autre type de tablettes, à usage essentiellement marchand, que l’on nomme des carnets. C’est ainsi que l’on nomme tout regroupement de tablettes (sous la forme de codices ou dans un contenant) si ces dernières font moins de 10 cm de côté). C’est en effectuant des recherches sur les fouilles archéologiques de York que je suis tombé devant un item qui m’a beaucoup intéressé et dont je me suis inspiré, tout du moins pour la forme. Au niveau de la datation, ce carnet de cire de York date de la fin du XIVe siècle mais d’autres exemples forts semblables et lacunaires existent pour la fin du XIIIe siècle et le début du XIVe siècle. Ainsi, les archives d’état de Florence conservent 6 tablettes en chêne de 113mm x 69mmn datant de la fin du XIIIe siècle et ayant appartenu à un marchand de la cité, qui y inscrivait ses comptes. De même, la bibliothèque nationale conserve sous la cote BNF Lat. 243 quatre tablettes double-face de 75mm x 140mm, provenant de Beauvais et datant du début du XIVe siècle. Ces deux exemples tendent à prouver que l’usage de ces carnets de cire était courant dans le monde marchand à l’époque qui m’intéresse tout particulièrement. Et les descriptions de ces objets sont proches de l’item retrouvé à York, qui est un petit peu plus tardif.
Des modèles beaucoup plus luxueux, notamment en ivoire ont été conservés, comme cet ensemble de 6 tablettes d’ivoire de 60mm x 30mm, datant de la fin du XIVe siècle et probablement fabriqué en France. La première tablette est décorée d’une crucifixion et la dernière d’une Vierge à l’enfant. Les tablettes internes sont évidées des 2 côtés pour y recevoir la cire. Le tout a été conservé avec son étui d’origine en cuir bouilli. Il est a noté que le musée de Namur possède une pièce semblable, de la moitié du XIVe siècle, avec un étui orné de scène représentant Tristan et Iseult.
Les carnets de York :
Il s’agit de tablettes miniatures (30mm x 50mm et 15mm d’épaisseur) à placer dans un étui en cuir et à suspendre à la ceinture. Les fouilles archéologiques de York ont permis de trouver cet objet dans Back Swinegate street, un quartier résidentiel et artisanal. Les tablettes ne sont pas reliées entre elles, mais rangées dans un étui de cuir, décoré d’une feuille de chêne incisée dans le derme. Après uneanalyse aux rayons x, on en a déduit que le style, en métal, était également conservé dans l’étui. Après un long travail de stabilisation du bois et de la cire, on a pu séparer les différents éléments et ainsi rendre visibles les écritures sur les tablettes.
Les paléographes ont ainsi pu remarquer qu’il y avait trois textes différents, et que l’écriture utilisée, la Cursiva Anglicana, permettait de dater ces éléments de la fin du XIVe siècle. Le premier texte, en « anglais moyen » est un extrêmement lacunaire mais une phrase peut fairepenser à un poème d’amour : « …still she did not answer me, but she didn’t say no… » (…elle ne m’a pas encore répondu, mais elle n’a pas dit non…). Le second texte est une liste de comptes et le troisième est sans doute un brouillon de lettre officielle en latin, avec des formules d’usage. Il s’agit donc d’un carnet très composite qui confère à cet objet le rôle de pense-bête. Il appartenait à quelqu’un qui connaissait le latin et la langue vernaculaire, et qui était impliqué dans la vie commerciale et dans les démarches administratives. Et cette personne avait peut être couché ses états d’âme au travers du poème… Quelle agréable manière, plus de 6 siècles plus tard , du faire connaissance avec le propriétaire de cet objet…
Réalisation :
Le centre archéologique de York a réalisé une reconstitution de cet objet, à partir des analyses en laboratoires et les recherches en paléographie. Une large partie de la « renaissance » de ces tablettes est visible sur leur site internet, de la découverte de l’objet à son traitement, en passant par son analyse radiographique (voir l’image ci-contre). .
Pour ma part, j’ai réalisé les tablettes en sapin, car l’utilisation du chêne pour les grandes tablettes m’avait quelque peu dissuadé de réemployer un bois avec autant de grain, surtout en miniature. La cire mêlée est exactement la même que pour les grandes tablettes. Le style est en buis, mais peut-être le changerais-je dans un futur proche pour un style de métal, comme sur l’original de York. Mon frère Guillaume, excellent artisan du cuir a réalisé l’étui, en assemblant 2 éléments (le fond + le tour), mais je lui ai demandé de ne pas reproduire la décoration en cuir repoussé qui était sur l’étui original. J’ai enfin réalisé un cordon aux doigts afin de passer le tout à la ceinture. Ces tablettes seront une bonne manière d’aborder les diverses formes de l’écrit à l’époque médiévale car son aspect terriblement proche, à mi-chemin entre le PALM et les « post-it » nous rend son usage très familier.
Encore un grand merci à Guillaume pour sa dextérité dans le travail du cuir!
Sources :
La découverte et la restauration des tablettes de York sur le site internet du centre archéologique de la ville.
Un ouvrage en italien sur les tablettes du marchand florentin à la fin du XIIIe siècle : Armando,Petrucci, Le tavolette cerate fiorentine di casa Majorfi : edizione, riproduzione e commento, Rome, 1965.
La thèse d’E. Lalou, Les tablettes de cire médiévales, dont la position de thèse est disponible sur la base Persée (contient une recension des carnets de cire en appendices).
Site de la bibliothèque royale de Bruxelles, avec une présentation des tablettes en ivoire.
Site du musée archéologique de Namur avec une présentation des tablettes et de leur étui.