S’il est bien un élément de mobilier emblématique du métier de copiste ou d’enlumineur, c’est bien le fauteuil à plan incliné intégré (ou fauteuil à bras mobiles), visible sur de très nombreuses enluminures représentants des copistes ou des enlumineurs au travail. C’est à partir de ce constat survenu lors d’une conversation avec un ami menuisier, Jean-Pierre, que le projet de reproduire un tel meuble est né. Après une longue phase de recherches de sources, force a été de constater qu’aucun fauteuil de la sorte n’est parvenu jusqu’à nous. Par contre de nombreuses miniatures existent, couvrant une vaste période, et représentant tantôt des Evangélistes, des Pères de l’Eglise, des auteurs importants ou des copistes (essentiellement des clercs).


Cette initiale historiée de la Bible de Hambourg (dont j’ai déjà parlé ici au sujet de l’enseigne de notre atelier et reproduit une miniature ici) nous a apporté des informations supplémentaires, puisqu’on y voit un artisan laïc utilisant ce meuble. Autre détail intéressant : il ne s’agit pas ici d’un copiste mais d’un enlumineur puisqu’il peint un visage sur ce qui semble être un bi folio. Cela peut laisser penser que certains ateliers d’enlumineurs laïcs étaient pourvus d’un tel meuble, de quoi nous inciter à reproduire un tel fauteuil pour le présenter lors de nos sorties avec notre atelier, mais surtout à tester son usage lors de la réalisation d’enluminures tout au long de l’année.
Se posait alors la question de la structure de ces bras mobiles et du montage des différents éléments de bois. En analysant les différentes enluminures, Jean-Pierre a proposé un système des bras montés sur pivots, et reposant sur des fourches. C’est sur ces deux bras que, grâce à des chevilles, que vient se placer le plan de travail. Après plusieurs versions de plans, rendez-vous a donc été pris chez lui dans le Morvan pour une semaine de menuiserie, à tailler des tenons et mortaises dans du chêne, des barreaux dans du hêtre et à fabriquer toute cette structure. Afin d’être facilement transportable, nous n’avons pas mis de repose-pied et les bras ainsi que le plateau peuvent facilement être détachés du fauteuil en lui-même. Après l’ajout de coussins en lin rembourrés de plumes au niveau du dossier et de l’assise, voilà notre fauteuil terminé et prêt à accueillir copistes comme enlumineurs :

En plus de pouvoir présenter ce meuble si typique de ces métiers,nous voulions trouver un plan de travail ergonomique pour réaliser nos manuscrits avec une posture adéquate. En effet le travail du copiste n’est pas de tout repos pour le corps, comme le mentionne un colophon (inscription placée à la fin d’un manuscrit fournissant des indications relatives à sa transciption) du commentaire de l’Apocalypse de Béatus de Liébana, écrit en 1091 par les moines Munnio et Dominico du couvent Santo-Domingo de Silos (près de Burgos) :
« Le travail d’écriture fait perdre la vue, il courbe le dos, écrase les côtes et dérange l’estomac, il fait souffrir des reins et cause des douleurs dans tout le corps […] Comme le marin arrivant au port, le copiste se réjouit d’arriver à la dernière ligne ».
Bien entendu nous ne sommes jamais arrivés à de telles extrémités car Munnio et Dominico étaient des copistes et enlumineurs professionnels, oeuvrant au minimum 6 heures presque chaque jour. Pour autant, à l’usage, ce fauteuil à bras se révèle extrêmement confortable : maintenu pas les coussins, le dos reste toujours bien droit et l’inclinaison du plan de travail permet de ne pas avoir à se pencher ou à trop incliner la tête. Les légères tensions musculaires que l’on pouvait ressentir après un après-midi de copie ou d’enluminure sont à présent presques inexistantes. Ce fauteuil à bras se révèle donc être un allié formidable : en plus de nous aider à évoquer l’atmosphère des ateliers de copie ou d’enluminure, son ergonomie nous permet d’écrire ou de peindre dans une posture adéquate.

Testé et approuvé par tout l’atelier….